Wigwams dans la forêt
Eau-forte. Illustration tirée de Canadian Scenery, Londres, James S. Virtue, s.d. page frontispice, Musées de la civilisation, bibliothèque du Séminaire de Québec, n1993-16303 Photo : Jacques Lessard
En levant l’ancre et en quittant Saint-Malo ou La Rochelle, les explorateurs français ne peuvent imaginer que l’«Amérique» qu’ils cherchent à atteindre est déjà densément peuplée.
À l’arrivée des premiers explorateurs européens au 16e siècle, de trois à douze millions d’autochtones vivent en Amérique du Nord. À l’échelle du continent américain, les chercheurs estiment que la population pouvait totaliser entre soixante et cent dix millions de personnes !1
Les archéologues ont trouvé sur le site de Place-Royale des outils taillés dans des matériaux provenant de régions parfois très éloignées de Québec, tel le chert onondaga des Grands Lacs. Ils témoignent de la présence de réseaux d’échanges couvrant de vastes territoires bien avant l’arrivée de Cartier et de Champlain.
L’occupation du territoire au moment de l’arrivée des premiers Européens.2
Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, carte Andrée Héroux d’après David Design.
Une plage pour faciliter l’accostage. Des ressources pour se nourrir. Un vaste terrain au pied d’un cap. Des pierres en abondance, à portée de main dans la falaise et dans l’actuelle côte de la Montagne, pour fabriquer des outils et des armes de qualité.
Les recherches archéologiques ont révélé la présence d’une carrière, d’ateliers de taille et de campements. Des preuves tangibles d’une occupation ancienne du lieu. D’ailleurs, certains archéologues disent que, pendant les fouilles, avec un peu d’imagination, ils pouvaient presque sentir les odeurs de fricassées de phoque, d’ours, de castor, d’orignal.
Les recherches attestent que des groupes amérindiens se donnaient déjà rendez-vous il y a plus de 3000 ans sur la pointe de Québec, aujourd’hui Place-Royale. Cette documentation de l’occupation du territoire avant l’arrivée des Européens est d’ailleurs l’une des principales contributions scientifiques de l’archéologie à la connaissance de l’histoire du Québec.
Dents de castor
MCC/LRAQ, photo : Aurélie Desgens
Place-Royale. Occupation amérindienne
Cent vingt-deux incisives de castor ont été mises au jour à Place-Royale. Elles ont dû être utilisées pour travailler des matières relativement tendres, comme le bois. Les visiteurs ancestraux de la pointe de Québec ont dans leurs bagages divers outils pour transformer l’andouiller, les os et les dents.
Pointe de projectile
MCC/LRAQ, photo : Aurélie Desgens
Place-Royale. Occupation amérindienne
Pointe de projectile en schiste rouge. Lame triangulaire élancée au-dessus d’un pédoncule. Les objets de la collection de Place-Royale présentent une grande variété de formes, de dimensions, de finitions et de matériaux (cherts variés, quartzite, quartz, rhyolite, schiste et jaspe). Les pointes de projectile servent à capturer des proies et leur efficacité est liée à leur forme, à leur résistance et à l’énergie qui les propulse.
Tesson de poterie
MCC/LRAQ, photo : Aurélie Desgens
Site patrimonial de l’Habitation-Samuel-De Champlain. Occupation amérindienne, entre 1000 et 1500
Tesson d’un vase avec motifs incisés complexes, typiques des Iroquoiens du Saint-Laurent.
Couverte d’arbres et de vignes sauvages, la pointe de Québec est un site idéal pour des nations nomades. Champlain repère rapidement le potentiel du lieu. Coincée entre le fleuve qui se rétrécit et le cap Diamant, la pointe est une forteresse naturelle. De ce lieu stratégique, les tirs de canons peuvent couler les navires ennemis qui s’aventurent dans cette section du fleuve. Il permet également de contrôler le commerce des fourrures entre les Grands Lacs et Tadoussac.
En 1608, Champlain fait abattre une multitude de noyers pour construire une première Habitation tout en nouant alliance avec la nation huronne qui approvisionne les Français en fourrures.
Scène de traite à Québec
Francis Back. Gouache, encre et crayon, 1994
Castors du Canada
Détail d’une carte de Nicolas de Fer, L’Amérique du Nord et du Sud, 1698. Bibliothèque et Archives Canada, NMC-26825
À lui seul, le castor représente 80 % des exportations de fourrures vers la France, pendant le 17e siècle.
Bagues dites « jésuites »
MCC/LRAQ, photo : Aurélie Desgens
Site patrimonial de l’Habitation-Samuel-De Champlain. Vers 1575-1600 à 1624
Site patrimonial de l’Habitation-Samuel-De Champlain. Vers 1688-1800
Deux bagues dites « jésuites » en alliages cuivreux, décorées du monogramme christique (IHS) et du motif L-Coeur. Souvent offerts lors de rituels et de fêtes, ces présents visent à sceller les amitiés et les alliances. Le système du don et du contre-don facilite les relations sociales tout en marquant le statut des individus au sein du groupe.
Perles
MCC/LRAQ, photo : Aurélie Desgens
Site patrimonial de l’Habitation-Samuel-De Champlain. Vers 1688-1800
Perles de verre avec motifs variés. Ce sont tantôt des marchandises de traite, tantôt des présents offerts aux autochtones. Les Européens comprennent rapidement que la générosité est symbole de prestige pour les Amérindiens. Ne disposant d’aucune entente écrite, les dons contribuent à cimenter les relations et les échanges.
Chaudron
MCC/LRAQ, photo : Catherine Caron
Maison Milot. Vers 1645-1668
Chaudron de cuivre martelé. Échangé contre des fourrures, cet objet est léger, facile à transporter. Il est parfois déposé dans les sépultures des défunts ou découpé et reconverti en parures par les Amérindiens.
Au pied du cap Diamant, l’Habitation de Champlain est une véritable place forte. Elle traduit la volonté des Français de se protéger d’attaques des nations européennes et amérindiennes ennemies qui voudraient s’emparer du commerce des fourrures tout en permettant d’affirmer leur puissance auprès de leurs nouveaux alliés amérindiens.
Pratiqué dans les cours de France, l’art de négocier est étroitement associé à un étalage de prestige et d’autorité. L’Habitation est aussi un lieu destiné à protéger les nouveaux arrivants et les marchandises.
Première Habitation de Québec et Résidence de Mr Samuel Champlain, 1er Gouverneur, carte postale, Québec, John E. Walsh, entre 1903 et 1912, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, CP-3204
Fondation d’une tourelle de la seconde Habitation de Champlain
Fonds ministère de la Culture et des Communications – Les grands inventaires nationaux, photographe non identifié, 1976-R-12.8
En face de l’église Notre-Dame-des-Victoires, les assises d’une des tourelles de la seconde Habitation de Champlain ont été découvertes par des archéologues du gouvernement du Québec.
La construction de cette Habitation amorce le développement commercial de la pointe de Québec mais aussi la colonisation d’une nouvelle France en terre d’Amérique.
«L’autorisation de peupler, qui est à l’origine de la fondation de Québec, signifie, pour les Amérindiens qu’ils permettent un établissement « parmi nous », non pas « à la place de nous »».Denys Delâge, historien et sociologue. 3
Dès lors s’installe un ultime et toujours actuel malentendu.
Joséphine Bacon
Poétesse originaire de Betsiamites, Josephine Bacon est aussi réalisatrice de films documentaires, parolière, auteure.
«J’appartiens à qui? J’appartiens à quoi? C’est pas tellement indien de se poser ça comme question. Autrefois, c’était un verbe qu’on n’avait pas besoin d’utiliser. Non, tu n’avais pas besoin de nommer ce qui t’appartenait. C’est avec la politique que le verbe est apparu dans notre vocabulaire… Avant, tu n’en avais pas besoin, parce que la terre pourvoyait à ta survie, à tes besoins.
Un Innu ne dirait jamais « Je suis Terrien ». Il dirait « Je suis humain ». Et pour être un humain, il faut que quelqu’un prenne soin de toi, comme la terre qui te nourrit, te soigne, t’abreuve, te réchauffe, t’éclaire… Et puis quand la nuit vient, c’est comme si la terre éteignait les lumières pour que tu t’endormes avec les étoiles comme veilleuse».S’appartenir (e) Pièce 03, Atelier 10, 2015, pp. 49-50
1 Sous la direction de Guillet, Bertrand et Louise Pothier. France/Nouvelle-France naissance d’un peuple français en Amérique, Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal et Château des ducs de Bretagne, Nantes, 2005. 127 p.
2 Pintal, Jean-Yves, Jean Provencher et Gisèle Piédalue. AIR- Territoire et peuplement, Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2015, p. 95 (Collection Archéologie du Québec)
3 Moussette, Marcel et Gregory A. Waselkov. Archéologie de l’Amérique coloniale française, Lévesque éditeur, 2013, p. 178
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